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Le Japon, c’est moche !

J’ai dernièrement commencé à lire Dogs and Demons d’Alex Kerr… Et en cherchant sa référence en français, je découvre avec horreur qu’il n’a pas été traduit ! Mais comment est-ce possible ? Alex Kerr est un des plus importants “japonologues” vivant aujourd’hui et ce livre d’une importance capitale pour comprendre le Japon contemporain.

Je ne vais pas malheureusement pas le résumer ici, mais en très bref, il parle du miracle japonais (vous savez, le fait de passer d’un pays ruiné et détruit à la fin de la guerre au deuxième pays le plus riche du monde une poignée de décennies plus tard) qui a un côté très sombre, toujours présent aujourd’hui et qui ne disparaîtra pas de sitôt (ses racines remontent en fait à bien avant l’après-guerre). Le livre a été publié en 2002, et la plupart des problèmes évoqués par l’auteur sont toujours d’actualité.

 

Il y a peu, alors que je me promenais dans mon quartier, je pensais au livre, et soudain, un certain nombre des choses dont Kerr parle sont apparues devant moi. Non pas que je ne les avais pas remarquées avant, mais c’est soudain devenu plus explicite et évident. Cela m’a également donné l’idée de cet article, qui pourrait ou non devenir une série d’articles, nous verrons bien.

Si c’est le cas, je l’appellerai :

Japon Moche

Avez-vous remarqué que presque tout ce que les Occidentaux écrivent sur le Japon a tendance à se concentrer uniquement sur ses bons côtés (et je suis coupable de cela aussi, jetez un coup d’œil à Ogijima.fr si vous ne connaissez pas encore) ? Ou au contraire, ils adorent râler sur les défauts du pays. Mais, la plupart du temps, ces derniers ne parlent pas tant des défauts du pays à proprement parler, mais plutôt du fait qu’ils ont du mal à accepter leur statut d’étranger, immigré et/ou minorité raciale. Ils ne s’en rendent pas toujours compte, et je ne les blâme pas, être immigré est une chose difficile. Nous, au moins, on a eu le choix de notre pays d’accueil et bien souvent on peut rentrer à la maison si tout ne se passe pas comme prévu. Mais c’est un autre sujet que celui qui nous intéresse aujourd’hui.

Dans cet article (et les prochains ?), je vais me concentrer sur les véritables mauvais côtés du pays, en suivant plus ou moins ce dont parle Dogs and Demons.

Commençons par le fait que les villes japonaises sont laides.

Ne me regardez pas avec ces grands yeux surpris. Oubliez les temples et les jardins une minute et pensez aux rues normales, aux quartiers ordinaires. Bien souvent, ce n’est qu’un entrelas utilitaire sans aucune planification urbaine, et même là où il y en a eu, l’esthétique n’a jamais figuré dans le cahier des charges.

Aujourd’hui, après dix ans passés dans le pays, je m’y suis habitué et j’y prête que rarement attention. Mais je n’ai jamais oublié mes toutes premières heures au Japon.

Mai 2009

J’avais quitté l’aéroport depuis environ une heure. J’étais dans le bus qui m’emmenait à Takamatsu, la ville qui allait devenir ma ville d’adoption quelques années plus tard (je ne le savais pas encore). Nous traversions Kobe quand quelque chose m’a soudainement frappé. Nous étions sur l’autoroute, sur l’un de ces ponts autoroutiers géants qui s’étirent sur des kilomètres. Je me souviens très bien de la scène, car j’avais le sentiment étrange de connaître ce pont. Je l’avais déjà vu, mais à l’époque, 14 ans plus tôt, c’était à la télévision et il ressemblait à ça.

Puis, quelques kilomètres plus loin, je remarquai quelque chose de très bizarre. Juste à côté du pont, il y avait des immeubles, beaucoup de bâtiments. Je n’imagine pas qu’il soit possible de construire si près d’une autoroute en France ou dans n’importe quel autre pays que je connais. Pire encore, beaucoup de ces bâtiments étaient des immeubles d’habitation. Pas tous. Non seulement des appartements de luxe se trouvaient juste à côté de l’autoroute, mais en plus, des usines se trouvaient juste à côté des appartements de luxe, ainsi que des immeubles d’habitation pas très ragoûtants qui se trouvaient eux aussi juste à côté de ceux qui avaient l’air chers. Cela n’avait aucun sens. Comment cela avait-il pu arriver ?

La seule réponse que je trouvai, en essayant de trouver une certaine logique à la chose, était qu’après le tremblement de terre de 1995, la ville a dû reconstruite aussi vite que possible et personne ne s’est soucié d’urbanisme, de cohérence ou de quoique ce soit d’autre.

“Oh, qu’il est mignon avec sa naïveté !” (ça, c’est moi d’aujourd’hui qui parle au moi de 2009, celui qui venait juste de sortir de l’avion)

Si vous avez passé plus de quelques heures au Japon, vous savez que ce n’était absolument pas la raison. Ce phénomène n’est pas seulement présent à Kobe. Il est dans tout le pays !

Les villes japonaises sont construites sans aucune logique, et certainement pas avec une quelconque esthétique en tête. Les villes japonaises sont tout simplement laides.

Il y a un tas de raisons à cela, certaines acceptables, d’autres non, mais nous verrons les pourquois une autre fois.

Mon propos aujourd’hui, c’est que oui certains aspects du Japon sont très beaux, mais le Japon dans son ensemble est aussi très laid.

Je vais essayer de documenter la chose en commençant par quelques photos prises dans mon quartier.

 

Nous commençons par l’une des deux rivières de mon quartier :

Ugly Japan Concrete river mouth

Alex Kerr explique dans son livre comment les Japonais semblent détester leurs rivières avec passion. Et quand on y réfléchit deux minutes, on ne peut que lui donner raison. Près de 100% des rivières japonaises sont bétonnées au moins en partie. Par exemple ici, je comprends la nécessité des murs : les bâtiments sont proches de l’eau, les typhons sont fréquents, et de petits tsunamis pourraient en théorie se produire (mais la mer est très peu profonde, donc le risque est très faible). Mais pourquoi y a-t-il du béton au fond du lit de la rivière exactement ?

Je vais probablement poser la question du “pourquoi” à plusieurs reprises dans cet article. Je sais qu’il y a des raisons pour ceci ou cela. Je les connais même souvent, et ce n’est pas toujours parce que les entreprises de construction contrôlent les pouvoirs publics dans ce pays.
Oui, la plupart du temps, il y a une raison, mais la vraie question n’est pas “pourquoi” mais : “Était-ce vraiment nécessaire ? Le reste du monde se débrouille très bien sans ça…
(et alors certains Japonais vont me dire “Mais le Japon est spécial…“. Cherchez Nihonjinron si vous ne savez pas ce que c’est).

Ugly Japan Gas TankOui, je sais, des réservoirs d’essence comme ceux-là, on en trouve partout, c’est pas spécifique au Japon. Et je sais qu’ils sont au bord de la mer parce qu’ils sont la réserve des pompes à essence pour bateaux non loin. Mais quand même, étaient-ils vraiment obligés de les installer aux abords d’un quartier résidentiel ?Ugly Japan Neighborhood

 

Le summum de l’urbanisme japonais en une image. Voici un chouette quartier résidentiel tranquille et sans histoire avec… quelques entrepôts en plein milieu (celui de la photo est loin d’être le seul). En France, on ne trouverait jamais de tels entrepôts dans une zone résidentielle, si ? Oh, et vous vous demandez quel est cet horrible filet vert géant à l’arrière-plan ? Il s’agit d’un terrain d’entraînement de golf. Je plains les personnes qui vivent juste à côté. C’est bruyant de l’aube jusqu’à bien après le crépuscule, et je vous laisse imaginer les projecteurs géants près de leurs maisons la nuit.

Bon, on a de la chance qu’il n’y ait pas d’autoroute qui passe au milieu.

En fait, il est question de faire venir le shinkansen à Shikoku, et si cela devait se produire (croisons les doigts que cela n’arrive jamais), un des projets serait de le faire passer là, entre le golf et la colline au fond. Heureusement, c’est le projet le moins réaliste, mais avec les ingénieurs japonais on ne sait jamais. Si cela arrive, je crois que je déménage…

Ugly Japan Golf Range

 

Voici le terrain de golf d’un peu plus près, avec un autre élément omniprésent dans les villes japonaises : les parkings. Vu qu’il est pratiquement impossible de se garer dans la rue au Japon, il y a des parkings partout.

Si vous vous demandez pourquoi il fait si chaud dans les villes japonaises en été (je veux dire sans même parler de la crise climatique), n’allez pas chercher pas plus loin. N’essayez pas de trouver de la terre, des arbres, de l’herbe ou quoi que ce soit qui aide à rafraîchir un quartier. Il n’y en a pratiquement pas. Tout est bétonné ou goudronné !

OK, je mens un peu. Il y a des arbres.

D’ailleurs, voici un arbre typique de mon quartier :

Ugly Japan useless tree

 

Tous les ans, des employés municipaux (je suppose qu’ils le sont, mais il pourrait s’agir d’entrepreneurs privés, je me demande même si les employés municipaux ne travaillant pas dans un bureau existent dans ce pays) viennent et coupent à peu près toutes les branches de tous les arbres qui bordent les rues. Donc les arbres ne peuvent jamais vraiment pousser. Il semblerait même qu’ils aient trouvé le moyen de faire pousser des feuilles sur leur tronc pour arriver à survivre.

Et pourquoi les arbres sont-ils taillés si intensément ? Probablement à cause des feuilles mortes. Les feuilles mortes figurent en bonne place – probablement dans le top 5 – sur la liste des choses que les Japonais détestent et trouvent totalement intolérables. Ainsi, un arbre dont les branches produisent des feuilles qui finiront par mourir et tomber est totalement inacceptable pour la plupart.

Alors pourquoi avoir des arbres dans les rues si on ne les laisse jamais vraiment pousser ? Vos suppositions sont aussi bonnes que les miennes. Un endroit pour que les chiens puissent marquer leur territoire est la seule théorie que j’ai pu trouver.

Et bien sûr, en été, tout le monde se plaindra de la chaleur dans la rue, et si seulement on pouvait inventer un système qui émette de l’ombre sur l’asphalte pour qu’il ne chauffe pas tant.

 

Enfin, vous savez peut-être que je vis sur la côte (si vous ne le saviez pas, la première photo était un indice), et je poste souvent de belles (je pense) photos de cette côte sur divers medias sociaux (les liens sont à la fin de l’article). Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi je ne poste jamais de photos de la plage ?

Eh bien, en voici une :

Ugly Japan Tetrapods

Les tristement célèbres tétrapodes japonais ont encore frappé ! Omniprésents tout le long de la côte japonaise ! Placés là pour – en théorie – éviter l’érosion. En pratique, ils accélèrent souvent l’érosion du sol marin proche (car le sable est plus facilement déplacé par les courants et autres), mais je suppose que les entreprises de fabrication de tétrapodes doivent être maintenues à flot à tout prix.

 

Voila, c’est tout pour aujourd’hui. C’était juste un aperçu de la façon dont le Japon n’a aucun souci de l’esthétisme la plupart du temps et la nature est souvent considérée comme une nuisance plutôt qu’autre chose.

Oui, je sais, votre image du Japon en prend peut-être un coup, mais vraiment l’esthétisme c’est un truc rattaché aux arts traditionnels et confiné à des cadres et des règles bien précis. La vie quotidienne et la rue n’en font pas partie.

Quant à la nature, s’il est vrai que les Japonais aiment l’idée de nature, la plupart déteste la nature réelle. Le Japon ne sera véritablement heureux qu’une fois le pays enitèrement recouvert de béton. Pas avant.

 

Bon, de plus en plus de Japonais ont conscience de ces problèmes. Malheureusement, ils ne sont pas assez nombreux pour combattre l’énorme inertie des pouvoirs publics. L’inertie vient du fait que les vieux n’aiment pas le changement et que si le béton a fait la richesse de leur pays quand ils étaient enfants dans les années 60, couler encore plus de béton est forcément la réponse à toutes les questions (et ce sont les vieux qui ont tout le pouvoir au Japon, parce que… eh bien, parce que le Japon). N’oublions pas non plus que les conflits d’intérêts sont un concept étranger au Japon, pas le népotisme et – osons le mot – la corruption. Je développerai plus en détail un jour.

Le résultat est ce que je viens de vous montrer. Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg.

 

Si vous connaissez bien le Japon, n’hésitez pas à partager vos réflexions dans les commentaires.

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