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Le Lexique Anglais, sa richesse, son histoire et ses sorcières

Hier matin, Geoffrey the Trickster s’interrogeait sur la différence entre hag et witch en anglais. S’ensuivit une mini-discussion sur la chose (que vous pouvez suivre ci-dessous) qui me donna l’envie de vous en dire un peu plus, parce que malgré toute ma sympathie pour Twitter, c’est pas vraiment le meilleur support pour développer un peu.

La discussion d’origine :

Si vous connaissez l’histoire de la langue anglaise, je ne vous apprendrai pas grand chose dans ce post, vous pouvez partir faire des choses plus intéressantes dans d’autres méandres du web. Mais, dans le cas contraire, je vous invite à lire ce qui suit, vous pourriez apprendre une chose ou deux.

 

Donc voila, oui, il y a deux mots pour dire sorcière en anglais. Witch, mais aussi hag. En fait, il y a en a plus : crone me vient à l’esprit là tout de suite. Il y en a peut-êtrer d’autres.

Bon, des synonymes, ça n’a rien d’exceptionnel, il y en a dans toutes les langues. Ce qui est plus rare, c’est une langue qui a plusieurs termes plus ou moins interchangeables pour désigner la même chose. Car c’est bien de ça dont il s’agit ici. Si certains termes sont plus communs ou plus populaires que d’autres (popularité pouvant varier d’une époque à l’autre), il n’y a pas de différence fondamentale de sens entre witch et hag, pas même une subtile : même sens littéral (une dame peu ragoûtante faisant de la magie à base de chaudrons, bave de crapaud et ailes de chauve-souris), même sens métaphorique (une veille dame pas sympa et probablement moche aussi).

Je prends cet exemple, mais c’est valable pour des centaines, voire des milliers, d’autres termes en anglais qui ont des synomymes parfaits.

Si vous demandez à un natif un peu pédant celui-ci essaiera peut-être de vous trouver des différences, mais presque toujours, il les imaginera plus ou moins. Ou ce seront des idées reçues.

C’est un fait, en anglais, il y a presque toujours au moins deux termes (parfois plus) pour désigner presque tout. Et cela trouve sa source dans…

L’histoire fascinante de la langue anglaise

Je vais donc vous en faire ici un peu petit résumé.

Au début, il y avait les Celtes… En fait non, pas du tout. La langue anglaise n’a absolument rien à voir avec les langues celtiques, pas plus que la langue française. La presque totalité des langues celtes parlées dans les territoires qui allaient ensuite devenir la France et l’Angleterre ont disparu. Vous noterez que je dis l’Angleterre et pas la Grande Bretagne. Parce que, le gallois est une langue celtique. L’écossais ne l’est pas, mais on en retrouve quand même des traces. Le gaëlique aussi est une langue celtique, mais il est hors sujet aujourd’hui.

Et la langue bretonne en France me direz-vous ? Bien entendu c’est aussi une langue celtique, mais contrairement à ce que beaucoup de Français croient, ce n’est pas une langue descendant des “Gaulois” (la faute à Astérix ?), mais bien de Celtes d’Angleterre. Les Bretons “pure souche” (s’il en existe) pareil, ils sont les descendants de tribus celtes d’Angleterre, probablement de Cournouailles (mais je peux me tromper). Après tout ce sont des Bretons, pas des Armoricains. Bretagne ? Grande Bretagne ? Ce n’était donc pas une coïncidence ? Eh bien non.

Mais que sont-ils venus faire en France alors ces ex-Grand-Bretons devenus juste des Bretons ? J’y reviendrai dans quelques paragraphes.

Remontons le temps jusqu’à, il y a deux mille ans environ. Les îles britanniques sont peuplées de Celtes qui parlent des langues celtes. Notons au passage que les Celtes ne sont pas les peuples d’origine de l’Europe de l’Ouest. Ils proviennent d’Europe de l’Est et ont remplacé les populations originelles quelques siècles auparavant (populations dont on ne sait presque rien sinon qu’ils aimaient mettre des gros cailloux dans la terre, parfois en rond, parfois en alignements, etc.). Et donc, il y a deux mille ans environ, les Romains débarquèrent en Angleterre et au Pays de Galles (pas en Écosse, les Pictes leur résisteront). La conquête de la Grande Bretagne sera longue et fastidieuse et jamais vraiment totale. Du coup, les Romains y auront une bien moindre influence culturelle qu’en Gaule. En particulier, le Latin ne s’implantera jamais vraiment comme il l’a fait chez nous. Les îles britanniques resteront les “confins de l’Empire.” Elles ne seront jamais totalement “intégrées.”

Et donc, quand l’Empire Romain d’Occident “chute,” la présence romaine disparaît plus ou moins, laissant quelques traces, bien sûr, mais pas tant que ça si on compare avec le continent.

Tout comme chez nous et en péninsule ibérique, le vide politique laissé par les Romains sera comblé par les tribus germaniques envahissant les restes de l’Empire (en partie poussées vers l’ouest par les Huns). Ce sont les Angles, les Saxons et dans une moindre mesure les Jutes et les Frisiens qui vont traverser la Mer du Nord et s’installer en Grande Bretagne. Et tout comme les Francs ont donné leur nom à la France, les Angles donneront leur nom à la terre où ils se sont installés. Angle-terre ? Terre des Angles ! Bon sang, mais c’est bien sûr (“Engla Land” en vieille VO) !
Et les Celtes ? Ceux qui l’ont pu ont fui : au nord en Écosse, à l’ouest au Pays de Galles et en Irlande et au sud dans la péninsule continentale que l’on appelera désormais Bretagne. Ceux qui ne l’ont pas pu, ont été assimilés ou passés au fil de l’épée, selon leur chance. Quoiqu’il en soit, c’est ici que les Celtes quittent notre histoire puisque leurs langues vont pratiquement totalement disparaître d’Angleterre. Elles seront remplacées par les langues des nouveaux venus, et c’est l’acte de naissance de l’anglais, la langue des Angles. Les langues des Saxons, Jutes et Frisiens ne sont pas très différentes de celle des Angles. Elles vont cohabituer et se mélanger sans trop de problèmes et donner ce que l’on appelle aujourd’hui le vieil anglais.
Cette langue n’a d'”anglais” que le nom. Elle est très différente de l’anglais que nous connaissons. C’est une langue totalement germanique, plus proche de l’allemand d’aujourd’hui que de l’anglais. Elle est incompréhensible pour qui ne l’a pas spécifiquement étudiée (alors que si vous lisez du vieux français de la même époque, vous comprendrez peu, mais un peu quand même).

Je vous en ai trouvé un exemple pris au hasard :

Ġeboren iċ wæs on Engla lande, ac iċ forlēas mīnne mæġþhād on Sċotta lande.

Comme vous le voyez, une chouette mélange d’allemand, d’anglais et d’on ne sait pas trop quoi.

Donc à peine née, cette langue est déjà un peu hybride. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’à cette époque, le concept de “langue unique” pour un peuple donné n’existait pas vraiment (à l’exception du latin, et encore il n’y avait pas qu’un seul latin). Donc le vieil anglais n’était pas à proprement parler une seule langue, mais plusieurs langues plus ou moins similaires – les quatre langues déjà mentionnées se mélangeant peu à peu, plus ou moins selon les régions, et avec l’une dominante ici, et l’autre dominante là. Et donc déjà à l’époque, il arrivait parfois que plusieurs termes différents pour désigner la même chose se côtoient.

Trois siècles plus tard environ, ce sont les Vikings qui débarquèrent dans l’est du pays. Certains s’y installent, d’autres y viendront juste pour faire du commerce, et d’autres encore viendront pour piller les locaux comme un peu partout ailleurs à cette époque. Et ils vont aussi laisser sur place pas mal d’éléments de leurs langues (surtout ceux qui s’y sont installé, cela va de soi).

Donc au début du 11e siècle, notre vieil anglais est une langue germanique, mélange de plusieurs langues germaniques, à laquelle il faut ajouter une pincée de langues vikings. Et bien sûr, à chaque invasion, à chaque nouvelle influence, le lexique s’enrichit toujours un peu plus.

Et puisqu’on parle d’invasions, il en reste une à mentionner. Peut-être la plus célèbre, et aussi la dernière, puisque plus jamais après 1066 l’Angleterre ne sera de nouveau envahie (la tentative suivante sera faite par les Nazis en 1940). Je veux bien sûr parler de l’invasion normande avec à sa tête Guillaume le Conquérant.

Petit rappel, les Normands (terme signifiant littéralement “North Men” les Hommes du Nord) sont d’anciens vikings installés en France depuis deux trois siècles pour tout un tas de raisons que vous connaissez probablement et qui se sont pas mal francisés. Surtout, ils parlent français. Et donc, en 1066, Guillaume envahit l’Angleterre, devient roi et tout est bien qui f… Non, pas encore.

Car c’est à partir de ce moment-là que les choses commencent à devenir vraiment intéressantes pour l’anglais. En fait, c’est à partir de ce moment-là que l’anglais tel que nous le connaissons va commencer à prendre forme. Ça va prendre plusieurs siècles et après le couronnement de Guillaume, nous nous retrouvons avec un pays où deux langues sont parlées. Le vieil anglais et le français. Des pays avec plusieurs langues, c’est pas exceptionnel, surtout à l’époque, c’était presque la norme en fait.
Ce qui est plus exceptionnel, c’est que la division linguistique n’est pas géographique mais sociale.

L’aristocratie, essentiellement normande, parle français. Le peuple, quant à lui, continue à parler son vieil anglais, puis plus tard l’anglais moyen, et finalement l’anglais moderne (qui apparaît aux 15e-16e siècle environ).

Cette situation va donc durer près de quatre siècles. Au passage, c’est pour cela que deux des devises du Royaume Uni sont en français dans le texte, même de nos jours. Je veux bien sûr parler de “Dieu et mon droit” et “Honi soit qui mal y pense.

Bien entendu, la barrière entre les deux langues sera de plus en plus poreuse avec le temps.
Petite anecdote, cette porosité commencera avec la nourriture. Les tables de banquets de l’aristocratie anglo-normande sont un des premiers lieux de contacts entre les deux langues (les convives parlant français, les serviteurs parlant anglais). C’est pour cela que de nombreuses viandes en anglais ont des noms d’origine française alors que les animaux correspondants ont des noms germaniques : beef, pork, mutton d’un côté et cow, pig, sheep de l’autre.

Au fil des siècles, les deux langues vont lentement mais surement fusionner. Mais il faut toutefois noter que si la très grosse majorité de la population ne parle pas français, cette très grosse majorité est aussi très majoritairement illettrée. Et inversement, la petite minorité parlant français est souvent lettrée.

C’est pour cela qu’aujourd’hui, l’anglais moderne a cette particularité d’être une langue essentiellement germanique “en apparence” et dans son usage, mais avec un nombre très important de mots issus du français. Cela surprend souvent, mais il faut savoir que les deux-tiers du vocabulaire de l’anglais moderne sont issus du français. Sauf que ce vocabulaire n’est utilisé qu’environ 20% du temps (je n’ai plus les chiffres exacts en tête, ce sont des approximations de ma part). La grande majorité des termes utilisés dans la vie quotidienne restent des termes issus des origines germaniques de l’anglais. Les termes d’origine française étant souvent les termes plus complexes, d’un niveau de langue plus élevé, etc.

Il reste peut-être une dernière interrogation. Comment tant de termes “en compétition” pour désigner les mêmes choses ont-ils pu perdurer côte à côte ? L’Académie Anglaise n’a-t-elle donc jamais tranché ?

Eh bien non, elle n’a jamais tranché parce que… Elle n’existe pas. L’idée qu’une institution politique aux compétences linguistiques très douteuses (voire inexistantes) puisse décider de ce qui est correct ou pas dans une langue est une invention française et qui heureusement n’a fait que peu ou pas de petits ailleurs.

Donc voila, maintenant vous savez pas mal de choses sur les origines de l’anglais, mais il manque encore un épisode.
Beaucoup plus récemment, l’Angleterre avait colonisé une bonne partie de la planète. Elle a donc exporté sa langue partout – ça vous le saviez – mais une autre conséquence, c’est qu’un paquet de mots provenant des colonies ont aussi intégré la langue anglaise (la même chose s’est passée avec le français).

Si bien qu’aujourd’hui, grâce à cette origine multiple, cette absence d’organisme régulateur, et sa propagation dans le monde entier, l’anglais est considérée comme la langue au lexique le plus important au monde. Il y aurait entre 500 000 et 1 000 000 de mots dans la langue anglaise. Un chiffre exact est impossible à déterminer. Si la technologie peut le faire en théorie, dans la pratique tout le monde ne s’accorde pas sur les critères à utiliser (doit-on comptabiliser les mots tombés en désuétude ? ou alors un mot étranger utilisé dans la langue – comme “pizza” ou “kimono” compte-t-il ?) C’est ce qui explique cette très large fourchette.

L’anglais a donc atteint ce statut de “langue la plus riche du monde” essentiellement en assimilant les mots étrangers “envahissant” son territoire associé à l’absence de toute organisme régulateur officiel. Si ça pouvait donner à réfléchir aux auto-proclamés défenseurs de la langue française avec leurs croyances basées sur aucune réalité linguistique et leurs méthodes basées sur pas grand chose non plus…

Et, witch et hag alors ?

En fait les deux proviennent du vieil anglais, et comme souvent dans ce cas avec les termes d’origine très ancienne, on n’est pas toujours trop sûr de quoique ce soit. Je vous conseille de lire les liens suivants (en anglais) si vous voulez en savoir plus:

 

Hags and witches in the UK

 

 

Avant de terminer, je vous prie de bien vouloir excuser de possibles erreurs ici ou là (J’ai presque tout tapé de mémoire et mes souvenirs d’études s’éloignent tous les jours un peu plus.) En fait j’ai récemment acheté ce livre pour me la rafraichir un peu :  A History of the English Language (Albert C. Baugh, Thomas Cable. Routledge, 2002)

Si ça vous intéresse, peut-être vous toucherai-je deux mots de l’histoire de la langue française la prochaine fois. Etes-vous sûrs de bien la connaître ?

 

Voila, c’est tout pour aujourd’hui. Si cet article vous a intéressé, n’hésitez pas à le partager avec vos contacts. Vous pouvez aussi me faire plein plein de cadeaux, ou bien me suivre ici ou là sur le web en cliquant sur le logo ci-dessous pour m’y trouver.

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